Si vous pratiquez un peu les réseaux sociaux, vous avez sûrement remarqué qu’on arrive à voir passer un peu tout le temps le même style de photos (jusqu’à overdose), que votre thème de prédilection soit le voyage, la déco ou les photos culinaires. Du coup, cette répétition joue le même rôle qu’une publicité ou un slogan qui tourne en boucle, encore et encore. Plus vous l’entendez, plus il reste dans votre tête et plus vous l’assimilez. Les photos, c’est pareil : plus vous voyez le même style d’intérieur, plus vous assimilez ça comme la norme. C’est le principe du « bis repetita » : « les choses répétées plaisent » (Haec decies repetita placebit).
Les normes et modèles des mass média
A force de voir toutes ces photos d’intérieurs quasi similaires je dois dire que j’ai repensé à mes recherches quand j’étais étudiante en art. Pour mon mémoire de fin d’études je m’étais intéressée aux mécanismes de la société de consommation (à partir des années 60) et plus précisément à ses travers. Je m’étais posée la question de la place d’une œuvre d’art, censée être authentique et unique, dans une société dont le fonctionnement de base repose sur la diffusion en masse de « modèles » (architecturaux, politiques, sociaux, etc.) au travers des médias. Mais cette réflexion pouvait bien évidemment s’appliquer également au design ou de manière générale à tout ce qui touche le principe de création.
Ce qui m’interroge, c’est que dans ce mécanisme de culture de masse, notre expérience s’en trouve impactée. Je m’explique… Ce que l’on appelle les « mass média » (télévision, presse écrite, publicité, cinéma…) nous proposent à grande échelle leurs propres expériences, leurs propres apprentissages et peuvent donc diffuser leurs modèles spécifiques. Les médias dans leur diversité – des téléphones à l’Internet – sont devenus les principaux canaux d’assimilation et d’apprentissage (avoir Cyril Hanouna et ses compères en maîtres instructeurs est effectivement une avancée grandiose dans le monde de l’éducation…), remplaçant alors la fonction dévolue habituellement à la famille et à l’école. Ces médias, soumis à la société de consommation et à la culture de masse, véhiculent aussi des « valeurs » (<<< notez bien les guillemets !) centrées sur la réussite individuelle, l’argent et la consommation (déduction assez évidente, malheureusement). Rien de mieux pour se sentir détendu qu’un petit tour sur Instagram ou Facebook et voir les réussites s’afficher, le nombre de followers grimper, les projets pro s’enchaîner, les partenariats se concrétiser, les intérieurs parfaits parfaitement mis en scène…
Mais en fait, c’est quoi la réussite?
D’un point de vue objectif, il ne tient qu’à vous de définir ce qu’est la réussite. Et moi, j’avoue que mes modèles de réussite sont simples. Ils n’ont pas de grande maison impeccablement décorée avec les dernières tendances, ne déménagent pas tous les 36 du mois juste parce qu’ils se lassent de leur intérieur et ne définissent pas la réussite par le nombre de contrats signés et de zéro sur le CA de fin d’année. Pêle-mêle, ces modèles (en matière de déco et dans la vie en générale) ce sont Emily Henson et Atlanta Bartlett pour leur approche de la décoration simple, naturelle et décomplexée, Rob Greenfield et Ben Fogle pour leurs enseignements vitaux et profonds, mais aussi à ma petite échelle, mon amie @angelaplaceart pour ses choix de vie « hors norme », @sileneaudibert pour son talent et sa sagesse… Il y a aussi toutes les personnes qui m’entourent, proches et parents, plus discrets… Des vies simples et authentiques, loin des beaux clichés instagrammables.
Se réapproprier nos intérieurs !
On peut très vite se laisser prendre par toutes ces belles photos de réussite affichée. Il devient alors nécessaire de ne plus se laisser influencer par les modèles véhiculés par les mass média mais bien au contraire de tenter de se réapproprier notre environnement pour ainsi « se refaire un corps d’expérience » (Amour, gloire et CAC 40, de Jean-Charles Masséra, 1999). L’« expérience » c’est ce que les joyeux lurons des écoles de commerce appellent aujourd’hui le storytelling. Le storytelling, c’est vous raconter une histoire, belle et émouvante (c’est encore mieux), pour que le produit à vous vendre vous parle. En l’occurrence, le produit peut également être un joli feed sur les réseaux sociaux : Martine dans sa cuisine qui se demande ce qu’elle va cuisiner ce soir ou qui est super fière d’avoir un beau gâteau (mais pas trop parce qu’il faut qu’il soit juste un peu imparfait pour faire authentique), Martine qui prend en photo la chambre de sa petite dernière et qui repense, si émue, comment elle a bien grandi (et qui en profite aussi pour faire du placement de produits…hic), Martine en vacances (dans un paysage instagrammable, c’est le minimum), Martine enceinte si belle et épanouie, mais aussi Martine et ses doutes parce qu’elle reste humaine avec ses questionnements quand même… Bref, Martine et sa vie. L’authenticité est devenue un produit, à tel point que cela devient paradoxal : créer des images de toutes pièces en vantant l’authenticité de celles-ci ! Et c’est exactement pareil pour les intérieurs.
Des intérieurs imparfaits mais vivants !
Attention, entendons-nous bien, je ne fais pas une critique de ces intérieurs parfaits. Tout cela est subjectif. Chacun ses goûts, donc à chacun son intérieur. Ce que je relève seulement c’est, que nous le voulions ou non, nous avons des modèles qui sont vantés par différents canaux (instagram, les magazines déco et lifestyle…) et que de fait nous sommes influencés. Le plus dur dans tout cela, c’est de prendre seulement ce qui nous intéresse. Etre inspiré et influencé par telle ou telle déco ce n’est pas bien grave en somme, il faut juste savoir faire la part des choses : arriver à définir le style que l’on souhaite et arriver aussi à s’en éloigner pour insuffler sa « patte », son style, sa personnalité dans son intérieur. C’est pour ça que j’ai décidé de m’intéresser à l’imperfection en matière de décoration. M’intéresser à ces intérieurs « normaux », à ceux que nous habitons et surtout qui ne répondent pas à des codes de design. Je fini d’ailleurs sur un post récent de Emily Henson sur son compte @lifeunstyled , que je trouve parfaitement juste et qui résume toute ma pensée. Je vous le retranscris ici (pour voir l’original, c’est par là) :
« N’importe quel styliste d’intérieur, designer ou « expert » qui vous dit qu’il a trouvé une solution permanente pour cacher les câbles et les fils disgracieux n’est pas complètement honnête. Saviez-vous que les fils des lampes sont souvent coupés dans les photos des intérieurs que vous voyez dans les magazines et la publicité ? Même chose avec les horribles prises murales et les interrupteurs – disparus. De nombreux « influenceurs » dans le domaine de la décoration que vous suivez ici auront également opéré de la magie sur leurs photos avant de les partager. Il est également rare de voir une photo d’une télévision dans ces mêmes publications, comme si nous vivions tous des vies idylliques où nous lisons Emily Dickinson aux chandelles au lieu de regarder Netflix. J’ai toujours pensé que ce genre de publicité mensongère avait le même effet sur le public que les mannequins ayant leur cellulite retouchée dans les magazines de mode. Cela nous laisse penser que personne n’en a alors que la plupart des gens en ont. Ces fils désordonnés qui « ruinent » une bonne photo d’intérieur ? Nous les avons tous. C’est pourquoi j’ai créé le blog Life Unstyled il y a de nombreuses années pour lever le voile sur le manque de sincérité de ces intérieurs et faire en sorte que les gens se sentent mieux dans leur propre maison. Alors soyez gentils avec vous-même et aimez votre maison pour toutes ses imperfections. Plus que jamais, nos maisons doivent être notre havre de paix. »
Je partage totalement la vision d’Emily Henson et je trouve que cette position est bien trop rare en France. Pour ma part, c’est ma vision de la décoration et c’est ce que j’essaie de retranscrire dans mon travail.
Je crois que l’imperfection est nécessaire en décoration
parce qu’elle insuffle de la vie à nos intérieurs
Mel. +++
Crédit photo : Paulina Arcklin / Emily Henson / Atlanta Bartlett