S’il y a bien un terme récurrent en décoration (et même plus généralement) c’est le fameux « coup de cœur ». Chaque magazine, chaque émission de déco, chaque « influenceur » mettent en avant leur « coup de cœur » qui peut aussi prendre la forme de « l’objet du désir ». On nous offre ainsi une présélection des objets tendances à avoir absolument chez soi. « J’ai eu le coup de cœur pour cette vieille bâtisse abandonnée… le coup de cœur pour ces luminaires (hors de prix soit-dit en passant), le coup de cœur pour ces chaises design… Et tous ces coups de cœur, qui sont autant d’actes de consommation, nous révèlent alors une maison ancienne magnifiquement restaurée, magnifiquement décorée et le tout de manière harmonieuse. OK… ça c’est à la télé ou dans les magazines. Honnêtement, dans la réalité ça rend beaucoup moins bien. D’une part parce qu’on n’a pas tous la même bourse (j’ai, par exemple, rarement, heu… jamais de coup de cœur à 3000€ :-)) et d’autre part à force d’accumuler des objets et des meubles qui viennent de tous horizons, votre intérieur devient une sorte de salle annexe mixant une multitude de magasins de déco et d’ambiances différentes. Du coup, on est loin d’un intérieur chaleureux et harmonieux. Et peut-être encore plus loin de votre identité et de ce que vous vouliez faire dire à votre « home sweet home ». J’ai d’ailleurs parfois des clients qui m’appellent parce qu’ils ne savent plus par quel bout prendre leur déco. Ils fonctionnent au « coup de cœur » mais le résultat final n’est pas celui escompté, ça ne marche pas. Ils sont loin du foyer douillet qu’ils souhaitaient créer.

On nous vend le principe du « coup de cœur » comme si cela était magique. Si vous aimez cet objet, c’est une valeur sûre, il rendra forcément bien dans votre intérieur ! Hummm, pas si sûr ! Il s’agit surtout d’un principe de consommation et même de surconsommation. Miser sur vos désirs, sur le principe hédoniste de la société de consommation qui « invite » (pousse) le consommateur à s’abandonner purement à ses envies et ses désirs sans réfléchir. Surtout ne pas réfléchir ! Là est la clé du « coup de cœur » : l’immédiateté. Parce que, si vous réfléchissez un tout petit peu, cet objet déco, aussi esthétique et design qu’il soit, en avez-vous vraiment besoin ? Projetez-vous avec, dans quelques mois, quelques années… Fait-il toujours partie de votre intérieur ? Vous est-il toujours utile ? A-t-il résisté au temps ? Aux modes ? Aux tendances ? Pour bien comprendre ce principe de projection et voir surtout l’effet pervers des « coups de cœur », je m’étais amusée un jour à faire un petit exercice. Caroline De Surany, coach en développement personnel (entre autres) présente dans son livre « Mon programme ikigai » (éd. Poche Marabout, 2019) un petit jeu pour se rendre compte du poids de la société de consommation dans notre quotidien et nous détacher alors de l’acte d’achat impulsif. Cet exercice de visualisation s’intitule « l’achat imaginaire ». Je vous le retranscris et vous invite à jouer le jeu :

« Vous voyez quelque chose qui vous fait très envie dans une boutique. […] Prenons ici l’exemple d’une paire de chaussures, mais cela fonctionne pour tout. […]

Vous imaginez cette paire de chaussures à vos pieds, elles sont belles, elles sentent bon le neuf / Vous vous voyez dans une soirée, vous les portez. Tout le monde vous fait des compliments / Vous les portez tout le temps, elles ne vous font même plus mal aux pieds / Vous vous voyez au travail, on vous admire avec vos nouvelles chaussures / Vous vous voyez dans plein de situations avec vos chaussures superbes / Elles commencent à avoir des petits plis, mais restent très belles / Petit à petit, l’envie de les porter baisse, vous alternez avec d’autres paires que vous avez déjà et que vous aimez aussi / Elles commencent à s’user, à sembler vieilles, vous avez un peu honte / Vous les mettez de moins en moins, elles restent dans le placard très souvent / Elles sont de moins en moins attirantes / Vos chaussures n’ont plus aucune allure, vous les délaissez complètement / Vous voyez vos chaussures dans un tas de tri « à jeter ».

Si vous jouez vraiment le jeu, vous n’avez plus du tout envie de cet achat coup de cœur. »

Avec le « coup de cœur », le fonctionnement est binaire : « j’aime » ou « je n’aime pas ». Je pourrais même dire primaire : « j’aime » un point c’est tout, selon le modèle Facebook. On ne parle même pas de ce que l’on n’aime pas, parce que c’est négatif, ce n’est pas beau, ça fait un peu « tâche » sur un feed Instagram. Personne n’a une rubrique déco « L’objet moche » ou « Tout ce qu’il ne faut pas acheter ». Le « coup de cœur » relève presque du fétichisme pour des objets beaux et design. L’objet devient une sorte de totem consumériste. On aime cet objet, le « pouce levé » ou le « cœur » permettent de manifester cet engouement. Ils résument et condensent à eux seuls tout notre ressenti. On n’a même plus besoin d’expliquer ce qui nous fait vibrer, nous parle, nous interroge… Tout est concentré dans un émoticône, signe d’un appauvrissement du langage. On ne s’interroge plus sur le « pourquoi ». Pourquoi on aime telle ou telle chose ? Est-ce les lignes de l’objet ? Sa matière ? Ses couleurs ? Est-ce que cela nous renvoie à une référence de notre enfance ? De nos origines ? Je ne nie pas le principe du « coup de cœur », le fait d’aimer une chose, de « flasher » sur un objet, mais on n’a très certainement pas tous des « coups de cœur » pour les mêmes choses ni surtout pour les mêmes raisons. J’avoue que pour ma part, c’est bien plus l’univers d’un créateur qui va m’inspirer et non l’envie d’acheter un objet en particulier.

 » Ces abréviations n’avaient pas seulement pour but d’économiser le temps.

On remarqua qu’en abrégeant ainsi un mot, on restreignait et changeait subtilement

sa signification, car on lui enlevait les associations qui, autrement, y étaient attachées.  »

La meilleure manière de s’éloigner des « coups de cœur » et surtout des achats impulsifs (si faciles en magasin car les fournitures décoratives sont parfaitement bien mises en scène) c’est de réfléchir en amont à ce dont on a vraiment besoin pour son intérieur. Ce que l’on doit changer. Et surtout quelle ambiance on veut créer chez soi. Une fois cette liste établie, vous pouvez faire votre sélection en magasin. Le but ce n’est pas d’avoir une attitude froide et purement fonctionnelle vis-à-vis des objets qui vont intégrer votre intérieur. Il s’agit surtout de bien définir au préalable ce qui vous est nécessaire et ce que vous aimez (couleurs, matières…) pour que votre intérieur réponde réellement à vos besoins et soit à votre image. Et puis parfois, avant d’acheter, posez-vous aussi la question de savoir comment vous feriez si vous n’aviez pas le budget pour ? Vous pouvez être surpris. Je me dis souvent qu’on voit l’efficacité d’une décoration quand il n’y a pas de budget ou presque. Là vous ne pouvez pas succomber aux « sirènes de la consommation », il faut être inventif. C’est dans ces conditions que la créativité se révèle réellement.

Mel. +++

Crédits photos : Mélanie Cotton Décoration – Unsplash / Citations : « 1984 », George Orwell, p.432